LA CULTURE EN FORMAT GÉANT
Situé dans la municipalité d’Upton, en Montérégie, le Théâtre de la Dame de Cœur se consacre à la création, à la production, à la diffusion et à l’animation, de même qu’à la formation et à la recherche dans les domaines artistique et culturel. Teatricus est allé à la rencontre de Richard Blackburn, directeur général et artistique de la compagnie.
PETIT PROJET DEVIENDRA GRAND
Fondé à Montréal, le Théâtre de la Dame de Cœur (TDC) s’est installé dans la petite municipalité d’Upton en 1978. Portés par le désir d’aller travailler en région, c’est un peu par hasard que les membres fondateurs du TDC découvrirent un site abandonné et délabré à Upton. Aujourd’hui nommé Domaine de la Dame de Cœur, ce site servit autrefois à l’industrie, à l’instruction publique et à des activités de plein air. Mais lorsque les membres du TDC l’eurent découvert, ce site était déjà complètement abandonné depuis trois ans. Si bien que le TDC s’est retroussé les manches, d’abord pour s’y installer (dix ans de squattage), et ensuite pour convaincre le ministère de la Culture et la municipalité que le développement de l’endroit était digne d’intérêt sur le plan culturel. En définitive, et le ministère et la municipalité finirent par le soutenir. Du travail, il fallut en abattre beaucoup. Sans le dévouement au travail dont le TDC fit preuve, jamais ses membres n’auraient pu passer dix ans à squatter dans un site abandonné pour le rebâtir : « Les gens de la région se sont montrés impressionnés par le cœur que nous mettions à l’ouvrage. Nous étions très travaillants, et grâce à cet acharnement, nous avons été en mesure de nous ancrer dans la communauté, explique M. Blackburn. Le public, qui a fini par se montrer très curieux, est venu voir ce que nous faisions. À l’époque, Internet et consorts n’existaient pas, donc les gens venaient voir de leurs propres yeux cette troupe qui faisait les choses autrement. Au fil du temps, notre public s’est accru, les gens de la communauté nous ont fait confiance et nous avons poursuivi sur cette voie grâce au travail et, par-dessus tout, à la persévérance. »
En quittant Montréal, les membres du TDC savaient qu’une fois en région, ils allaient rencontrer un public aux caractéristiques nouvelles, que la nature allait beaucoup influer sur leur manière de procéder, qu’elle allait favoriser, pour reprendre les mots de notre interviewé, « une scénographie éclatée ». Avec ces anticipations en tête, le TDC déploya ses premières activités dans l’ancien moulin, bâti sur le site au XIXe siècle par un marchand irlandais venu des États-Unis et dont la structure sert maintenant de restaurant. Ils y établirent une petite boîte de cent cinquante places. Très rapidement, l’équipe du TDC s’aperçut que la nature environnante permettrait vraiment de sortir des ornières du théâtre de répertoire des grandes villes et de se tourner vers l’allégorie et la métaphore. Non seulement n’y avaitil pas de plafonds à l’extérieur (!), mais au sein du site se trouvait un croisé de rivière pouvant tenir lieu de coulisses naturelles. De plus, le hasard fit que le TDC a obtenu des kayaks et des catamarans, embarcations fort utiles pour soutenir le projet hors du commun de la compagnie : créer un spectacle de marionnettes géantes sur l’eau. Projet certes inédit, ayant exigé l’aide de nombreux bénévoles, mais qui a propulsé le TDC sur le plan artistique. Mais dame Nature avait encore autre chose à offrir au TDC : « Le fait de travailler régulièrement à l’extérieur nous a incités à profiter au maximum d’un des grands avantages du théâtre sur les autres genres artistiques, c’est-à-dire de pouvoir se manifester en quatre dimensions autour du public, d’où nos bancs pivotants et nos spectacles prenant vie au-dessus et autour des gens ainsi qu’à travers eux dans une dynamique familiale. », explique M. Blackburn.
À elle seule, une présentation comme Les Géants de l’Étang a de quoi continuellement émerveiller tout un chacun. Mais une compagnie avant-gardiste comme le TDC ne pouvait s’en tenir qu’à la production. En effet, la formation était de mise, comme l’explique notre interviewé : « À partir des formations que nous donnons aux marionnettistes, nous nous sommes bâti une colonne vertébrale. Sylvain Gagnon, notre directeur de formation, enseigne les rouages particuliers des marionnettes géantes à plusieurs personnes par année [automne et hiver]. Grâce à ces formations, nous sommes en mesure de repérer les gens qui vont bien se trouver au sein du TDC. La volonté de décupler ses talents compte, oui, mais ce qui importe le plus, c’est de pouvoir s’harmoniser avec l’ensemble de l’équipe. Sans participation active du personnel, ce serait très difficile de faire fonctionner la compagnie compte tenu de sa taille et de ses réalités financières. C’est grâce à cette participation que nous arrivons à donner vie à des spectacles incroyables avec un personnel parfois de taille réduite. Ces gens ont la volonté d’être très créatifs, de collaborer et de vivre au sein de la compagnie. » La recherche joue également un rôle prépondérant au sein du TDC. L’équipe a beaucoup étudié le fonctionnement des contes initiatiques d’il y a 2 000 ou 3 000 ans av. J.-C., desquels sont ressorties d’importantes découvertes. M. Blackburn affirme qu’en plus de regorger de leçons de vie tout simplement essentielles, ces derniers leur ont fait découvrir le bien-fondé de raconter des histoires, les modes de construction des allégories et les effets de celles-ci sur la vie des gens. Par leur entremise, ils ont aussi découvert les merveilles des allégories thérapeutiques et les invariants du conte. M. Blackburn affirme sans détour que « ces univers fascinants peuvent nous aider à surmonter les problèmes de la vie. » D’ailleurs, le TDC a décidé de toujours donner une fin heureuse à ses spectacles, parce que selon son directeur général et artistique, il est important de montrer qu’avec du courage, tout obstacle peut être surmonté. Certaines fins heureuses classiques auront beau verser dans le cliché, n’empêche que d’autres peuvent dynamiser les gens, voire les pousser à se renouveler.
LE PUBLIC, PARTIE INTÉGRANTE DU SUCCÈS
Des dires de Richard Blackburn, le rapport entre la direction du TDC et son public se veut funambulesque, « c’est-à-dire que nous nous tenons en équilibre entre notre audace artistique et la nécessité de remplir nos salles. En ce sens, nous sommes condamnés à l’excellence, car nombreuses sont les factures à payer pour un site d’une superficie comme le nôtre [neuf bâtiments]. En dépit du soutien d’organismes gouvernementaux, nous devons être très débrouillards en matière de revenus autonomes. Donc, au cours de nos lectures publiques, nous “négocions” avec les gens en vue de nous maintenir en équilibre. » On comprend donc que le public fait partie intégrante de la réalisation des spectacles, et donc de leur succès.
Bien entendu, les étapes menant à la réalisation d’un travail de cette envergure sont nombreuses. Richard Blackburn décrit le processus. Dans son rôle de directeur artistique, il propose d’abord quelques idées (débuts d’histoire, intuitions, etc.) à l’équipe de scénarisation, à l’aide de laquelle des objectifs préliminaires sont établis. De là, démarre à grand renfort de rencontres un travail d’élaboration de la métaphore ou de l’allégorie, la création d’un scénarimage ( story-board ) sur papier, de personnages, d’actions et d’événements. Après ces rencontres, le scénarimage sert à la création d’une maquette simulant la salle de spectacles. De petits personnages sont ensuite créés, et une caméra est utilisée subséquemment pour simuler, avec des animations en volume ( stop-motions ), le scénarimage en théâtre d’objets. Le scénarimage papier est par la suite mis à l’épreuve pour écarter les idées qui, dans le visuel, ne conviennent pas. En parallèle, les équipes du TDC s’affairent à résoudre les énigmes logistiques relatives au public, aux dimensions et à l’acoustique. Au bout de ce travail de longue haleine, un fichier vidéo est remis pour utilisation à l’auteur des dialogues et aux équipes de production. Les illustrateurs et la musique habillent le tout, et de là démarre le travail d’écriture des dialogues. À la 4e version de ceux-ci, une lecture publique sans visuel en est faite. Le TDC demande au public ce qu’il a compris de l’histoire, ce qui a retenu son attention ou pas. À partir des commentaires émis, les équipes poursuivent leur travail. Entretemps, la production aura commencé à besogner, donc à choisir des matériaux, des structures, à établir un plan de match (échéancier, calendrier), la musique et le multimédia. Bref, le chantier au complet se met en branle. Ce qui sera présenté au public constituera probablement la 7e ou 8e version des dialogues. Aussi, en raison du brouhaha de la mécanique, de l’animatronique, de la robotique, des véhicules, des chariots élévateurs et ainsi de suite, les voix doivent nécessairement être enregistrées en studio, donc une bande sonore doit être créée. Il faut ajouter à ce travail la postsynchronisation et la spatialisation pour que le public puisse suivre l’action se déroulant au-dessus et autour de lui, de même qu’à travers lui. De toute évidence, le TDC passe par un important travail de concertation, auquel participe le grand public, avant d’arriver à une production sur mesure pour ce dernier.
LES RÉGIONS EN RENFORT AUX GRANDES VILLES
Richard Blackburn, qui ne se cache pas d’être, non sans humour, « un régionaliste intégriste », croit vraiment au développement culturel des régions du Québec. À son avis, il y a présentement empilade artistique et culturelle à Québec et à Montréal. Toujours selon lui, que ces villes soient fort effervescentes sur ces deux plans n’a rien d’étonnant. Toutefois, il a l’impression que « trop, c’est comme pas assez ». M. Blackburn soutient que, malgré leurs moyens limités, les régions devraient devenir des lieux où les gens des grandes villes vont faire des stages, des résidences ou même travailler : « Pour moi, des théâtres comme le nôtre devraient être bien plus nombreux en région au lieu d’être entassés parmi les 2757 autres à Montréal et à Québec. » Par ailleurs, il croit aussi, et il est conscient d’exprimer une opinion peu répandue, que les écoles de théâtre et les écoles spécialisées devraient fournir des stages obligatoires aux étudiants afin de les familiariser avec les réalités de leur futur domaine. Il croit en outre au développement culturel des régions pour aider Montréal et Québec, parce que souvent, ces grandes villes ne peuvent pas diffuser l’intégralité de leur produit culturel faute de public suffisant. Pour accroître ce dernier, il faudrait établir des structures et des dynamiques plus fortes dans les régions. Des dires de notre interviewé, le public du TDC est composé d’environ 25 % de consommateurs culturels ordinaires et de 75 % de touristes, ou du moins de gens n’étant pas des consommateurs culturels. Ces gens, dont nombreux proviennent des grandes villes, sont effectivement disposés à se déplacer en région pour assister aux productions hors du commun de la compagnie, ce qui donne un aperçu du potentiel des régions sur le plan culturel.
LES RÉSEAUX SOCIAUX AU CŒUR DE LA CULTURE
Les réseaux sociaux jouent un rôle de grande envergure au sein de la dynamique culturelle du monde. Par leur entremise, tout se propage à la vitesse de l’éclair. « Et comme tout le monde, nous avons dû nous habituer à être sollicités de partout. Au début, nous l’étions seulement par courriel, mais maintenant, nous le sommes aussi par les réseaux sociaux, et à une fréquence vertigineuse, affirme le directeur général et artistique du TDC. Mais du fait de leur importance, nous sommes appelés à composer avec ces outils-là. Pour Les Géants de l’Étang par exemple, nous avons reçu un tsunami de commentaires du public, qui après le spectacle prenait des photos pour ensuite les publier accompagnées de textes. Évidemment, comme le public a beaucoup aimé cette production, le tsunami de commentaires s’est révélé positif. Nous-mêmes faisons des placements dans Facebook afin de susciter de l’intérêt pour nos productions. » Force est de constater qu’en plus d’être au cœur des communications, les réseaux sociaux, sans oublier les plateformes interactives comme Teatricus, sont désormais au cœur de la culture. Pour de plus amples informations au sujet de la programmation du Théâtre de la Dame de Cœur, rendez-vous au www.damedecoeur.com.
Rédaction : Gianmarco Muia
Entrevue & crédits photos: Nidesco
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