ÊTRE ARTISTE AUTONOME
Teatricus est allé s’entretenir avec Les Agents libres, regroupement d’acteurs et d’actrices autonomes duquel Geneviève Champagne et Luc-Martial Dagenais font partie
LA MISSION DU REGROUPEMENT
Établi depuis une vingtaine d’années, le regroupement Les Agents libres tire d’abord sa raison d’être d’un besoin d’autonomie des comédiens et des comédiennes qui en font partie, de même que du désir d’être informé de ce qui se fait dans un domaine relativement hermétique. Luc-Martial Dagenais donne un aperçu de la manière dont ce dernier fonctionne au Québec : les directeurs de casting établissent des listes nommées breakdowns . Dans ces listes figurent des personnages qu’ils cherchent à associer à des comédiens, de même que les détails du projet. Mais il faut faire partie d’une liste de distribution pour recevoir les renseignements que donnent les breakdowns qui doivent rester confidentiels pour éviter une avalanche d’appels aux directeurs de casting, mais aussi pour conserver la primeur du contenu jusqu’à la diffusion. Afin de les obtenir, nombre de comédiens et de comédiennes se sont regroupés. Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle il y a eu regroupement : étant donné l’autonomie de ces artistes et l’omniprésence d’Internet, il était essentiel de créer une plateforme servant à assurer leur présence en ligne et à les promouvoir grâce à des démos vidéo, audio et photo. Ainsi, Les Agents libres se veut non seulement un regroupement recevant des documents d’une importance capitale leur permettant d’exercer leur métier, mais aussi une vitrine pour des professionnels soucieux d’autogérer leur carrière.
AU-DELÀ DES APPARENCES
De l’avis de Geneviève Champagne, si certains comédiens et comédiennes finissent par vouloir gérer leur propre carrière, c’est parce que ces derniers sont liés à leur agent par un rapport d’interdépendance. Le comédien qui s’accorde le droit de refuser certains contrats contrevenant à certaines valeurs fait également écoper l’agent. Et ce ne sont pas tous les comédiens qui se sentent à l’aise au sein de cette dynamique, car ils sont conscients de faire perdre un revenu à la personne qui les représente. N’empêche que malgré cette prise de conscience, la demande actuelle d’agents dépasse l’offre, ce qui laisse entendre que la liberté de choisir à des conditions favorables celui ou celle qui nous représente en a pris un coup.
Les choses bougent également du côté des réalisateurs. Selon Luc-Martial Dagenais, une des difficultés actuelles du domaine, c’est qu’il n’y a plus de contact direct avec ces derniers : « Il y a trente ans, on pouvait aller, disons, à Radio-Canada rencontrer directement les réalisateurs. Maintenant, les choses se font plutôt en vase clos : ce sont les directeurs de casting qui pigent dans les divers regroupements et agences. De plus, la situation économique fait que les auditions se font toujours plus rares. En fait, un des seuls domaines où l’on auditionne encore, c’est la publicité. Dans les autres, on pense généralement dès l’écriture à l’acteur qui pourra jouer le rôle et, pour ce qui est des rôles importants, des auditions sont souvent faites avec un nombre très restreint d’acteurs connus. » Inutile de dire qu’il s’agit d’une situation difficile pour la grande majorité de la communauté artistique, parce que les contrats ne pleuvent pas. Pour retourner le fer dans la plaie, la mode actuelle est aux rôles de professionnels joués par des gens qui exercent le métier en question : « Dans les breakdowns , on dit qu’on veut un vrai ambulancier, une vraie infirmière, etc. Je trouve qu’on fait de moins en moins confiance aux acteurs. » Luc-Martial Dagenais convient évidemment que certains professionnels sont tout à fait aptes à interpréter des rôles où leur métier est mis en scène, n’empêche que selon lui, une formation de comédien et de l’expérience pertinente valent leur pesant d’or sur le plateau de tournage.
UN FONCTIONNEMENT EMPREINT DE DÉMOCRATIE
Les Agents libres s’autogère. Grâce à une cotisation annuelle des quarante-sept membres, il est non seulement possible de faire fonctionner le regroupement, mais aussi d’héberger et d’entretenir le site Web, d’acheminer correctement les breakdowns à tous, de maintenir des normes de qualité en ce qui a trait aux photos et aux démos ainsi que de mettre à jour les dossiers des membres. Subdivisé en plusieurs comités (promotion sur les réseaux sociaux, etc.), le regroupement permet à ceux et celles qui font du bénévolat de se prévaloir d’une réduction du montant de leur cotisation. Cette manière de fonctionner plaît beaucoup aux deux comédiens, parce qu’elle renforce l’aspect entraide des Agents libres. Autre chose : le regroupement fonctionne un peu comme une coopérative, en ce sens que deux assemblées annuelles sont tenues au cours desquelles tous les membres déterminent l’orientation du regroupement. Aussi, pour admettre quelqu’un au sein du regroupement, il faut passer au vote. Ce mode de fonctionnement, bien que parfois complexe, donne souvent lieu à des discussions fructueuses et aboutit à une belle concorde : « C’est toujours plus laborieux de procéder de manière démocratique : tout le monde met son grain de sel, des désaccords surviennent, etc. Mais si le processus était confié strictement à un chef, ce serait peut-être plus simple, mais notre degré de participation en pâtirait. On doit donc tolérer le fait que le regroupement soit composé de gens dont la vision artistique diffère, et que son but premier est de fournir des outils visant à propulser, ou à faire poursuivre, la carrière individuelle de chacun de ses membres. », en conclut Luc-Martial Dagenais. Pour sa part, Geneviève Champagne estime qu’au bout du compte, le fonctionnement démocratique des Agents libres est satisfaisant, en ce sens qu’il génère énormément de discussions et d’idées intéressantes, et que malgré les inévitables divergences d’opinions, les membres finissent toujours par en arriver à un point d’entente.
LES AVANTAGES DU REGROUPEMENT
« Ce qui est bien de ne pas être représenté par un agent à proprement parler, c’est d’obtenir un cachet de 15 % supérieur à celui des acteurs qui en ont un puisque ceux-ci doivent payer une cote de ce pourcentage à leur agent! Ce n’est pas rien, surtout en ces temps où la négociation est quasiment impossible, surtout si l’on n’est pas très connu. » Difficile d’être en désaccord avec LucMartial Dagenais. Outre la mainmise sur la gestion de leur carrière, les comédiens et comédiennes autonomes profitent de plusieurs avantages en devenant membres des Agents libres. En plus de recevoir les breakdowns , dont nous avons déjà parlé, les membres font l’objet d’une promotion vidéo. À ce sujet, Geneviève Champagne explique que ces vidéos promotionnelles et démos accessibles directement aux réalisateurs, servent en quelque sorte d’audition. Grâce à ces vidéos démonstrateurs, que le membre peut rendre disponibles à profusion, ce dernier met beaucoup de chances de son côté. Et grâce à l’ensemble de sa plateforme Web, le regroupement permet à ses membres de rayonner auprès des directeurs de casting. Également, le fait de recevoir les breakdowns fait en sorte que les membres sont au courant des castings qui se font, mais surtout des périodes où il s’en fait peu ou pas du tout : « Ainsi, on est moins porté à s’apitoyer sur son sort et à remettre ses capacités en question. De plus [recevoir les breakdowns ] nous aide à nous situer et à nourrir des attentes réalistes. », explique LucMartial Dagenais. Geneviève Champagne ajoute ceci : « En dépit des idées reçues, faire partie d’un regroupement d’acteurs n’a rien de démodé. Les Agents libres est en mesure d’asseoir la crédibilité de ses membres, dont l’inscription découle, rappelons-le, d’un désir d’autonomie. Pour en savoir davantage, rendez-vous sur lesagentslibres. ca ou sur notre page Facebook Les Agents libres. Vous vous rendrez compte que les acteurs qui s’autoreprésentent sont bien plus nombreux qu’on le croit, et vous serez agréablement surpris du talent rayonnant de leurs portfolios. »
DEVENIR MEMBRE DES AGENTS LIBRES
Pour faire partie du regroupement, Geneviève Champagne affirme qu’il est fort souhaitable d’être passé par une école de théâtre. Il est également souhaitable de ne pas s’intégrer à un regroupement immédiatement après être sorti de l’école, parce que c’est l’expérience concrète et le professionnalisme avéré qui sont recherchés au sein de la plupart des regroupements. Donc, l’expérience d’abord, et ensuite le regroupement. Luc-Martial Dagenais, lui, souligne qu’une attention particulière est accordée au professionnalisme des candidats (ponctualité, compétence, respect d’autrui, mise à jour de ses connaissances). Aussi, il faut être membre actif de l’UDA et posséder une connaissance fonctionnelle des outils informatiques. En outre, avoir la fibre entrepreneuriale se veut sans contredit un grand atout.
Rédaction : Gianmarco Muia
Entrevue & crédits photos: Nidesco
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