FX DANS LE SANG
Jeune artiste fort dynamique et sympathique, Nina Anton est en train de se forger une belle réputation dans le milieu du maquillage en effets spéciaux. Teatricus s’est entretenu avec cette Bouchervilloise fonceuse et ambitieuse.
Nina Anton fait ses débuts professionnels dans le domaine du maquillage en effets spéciaux il y a deux ans. Et bien qu’elle se soit adonnée à la création de personnages et de toutes sortes de lésions il y a 5 ou 6 ans, sa passion pour l’horreur remonte à son enfance : « Lorsque j’étais petite, j’avais l’habitude de regarder Les Simpsons tous les soirs avec mon père, et je me souviens que les épisodes d’Halloween étaient mes préférés. Aussi, mon frère avait peur de Chucky et de Freddy, mais moi, je les adorais ! Mon amour de l’horreur date donc de très longtemps. »
LA NATURE ARTISTIQUE ET SES EFFETS
Son art, ce n’est pas à l’école qu’elle l’a appris, même si elle aurait souhaité que ce soit le cas. En effet, si certaines écoles abordent les bases des effets spéciaux (ecchymoses, plaies, éruptions cutanées), il n’empêche qu’aucune d’entre elles ne se consacre entièrement à l’énorme éventail de ceux-ci. Elles n’enseignent donc pas ce qui relève de la sculpture, de la conception de créature, du moulage, de la reproduction, des accessoires ou des giclées de sang, ces choses qui, en fait, intéressent le plus Nina Anton. Ainsi, c’est en autodidacte qu’elle décide d’approfondir ses connaissances : « Je me suis inspirée de plusieurs grands de mon métier, comme Dick Smith [célèbre maquilleur américain de cinéma]. Ces maîtres ont rédigé des livres, créé beaucoup de blogues et de sites Web qui m’ont servi, dans une certaine mesure, de matériel de formation. »
En matière de formation justement, elle dit ne pas trop se fier aux chaînes YouTube. Certes, beaucoup de gens y voient un moyen de s’instruire, mais selon elle, la majorité des vidéos ne tiennent pas compte, entre autres choses, de la sécurité de l’acteur : « Par exemple, une fille expliquait comment créer un effet d’éclat de verre sur un visage… en se servant d’éclats véritables ! Elle était là, en train de les placer tout près de son œil ! Ces vidéos ne tiennent souvent pas compte d’aspects très importants liés à la sécurité des acteurs. On n’ira quand même pas sur un plateau insérer un éclat de verre dans l’œil d’un acteur ! Je ne dis pas que les chaînes YouTube n’ont aucune valeur éducative. J’en regardais beaucoup aussi à mes débuts. Mais en ce qui me concerne, elles ne se sont pas révélées vraiment pertinentes. Donc, j’ai préféré puiser chez les maîtres des effets spéciaux. Je me suis renseignée du mieux que j’ai pu dans Internet et dans les ouvrages des maîtres de l’horreur pour travailler de la manière la plus compétente possible. »
L’OCCASION DE RÉALISER SON RÊVE
Tout ce qui touche les effets spéciaux la passionne, mais s’il est une facette de son métier qu’elle aime particulièrement, c’est réaliser des reproductions très réalistes et perturbantes de l’anatomie humaine. Pour Nina Anton, le corps humain concret est un modèle sans pareil pour recréer une plaie, une tumeur, une blessure ou une excroissance. Mais pour arriver à un résultat des plus réalistes et troublants, un sens de l’observation aiguisé s’impose : « Prenons une coupure en guise d’exemple. Pour en créer une, je tiens compte du nombre de couches de la peau qu’elle est censée atteindre, dont la possibilité d’une couche adipeuse dans le cas d’une personne plus en chair. La prise en compte de ces petits détails importants sépare souvent le bon grain de l’ivraie dans mon métier. Je fais beaucoup de recherches pour m’assurer d’un effet spécial hyper réaliste et perturbant. À mon avis, ce genre de souci m’aide à me démarquer dans mon domaine. »
Habile de ses mains depuis toujours, Nina Anton travaillait auparavant comme technicienne en finition d’impression grand format : « J’ai toujours adoré les effets spéciaux, mais le métier que j’exerçais rendait difficile le développement de ma passion, qui se trouvait ailleurs. Et au terme de l’emploi, j’ai décidé de foncer vers ce qui me passionnait. J’ai interprété cette ouverture comme un signe. Comme j’étais déjà outillée et que j’avais désormais le temps de peaufiner mes compétences et de me faire connaître, je me suis lancée. » Pendant cet intervalle de quelques mois, elle a participé à beaucoup de kinos, soit des films réalisés en 72 h par des bénévoles. À ces occasions, elle a fait d’une pierre deux coups : établir beaucoup de relations et, par ricochet, apprendre gratuitement. De fil en aiguille, ces relations lui ont rapporté des contrats lucratifs et, depuis, elle se bâtit une réputation : « Mon nom circule de plus en plus, et j’espère que c’est pour les bonnes raisons ! »
LES RÊNES DU PRÉSENT ET DE L’AVENIR ENTRE SES MAINS
À l’heure actuelle, les services de notre artiste sont entre autres sollicités pour des vidéoclips et des courts métrages : « Je ne fais pas encore partie des grosses productions hollywoodiennes ! J’espère un jour pouvoir faire un maquillage, ou même être aidemaquilleuse. Ce serait un début canon ! » Mais ce qu’elle vise par-dessus tout, c’est un équilibre entre Anton FX (entreprises de vente de prothèses et de location d’accessoires) et les contrats de cinéma : « J’adore travailler dans mon atelier, je le considère comme mon cocon. Lorsque j’y suis, je m’y plonge, à un point tel que les repas prennent souvent le bord ! Mais j’aime également beaucoup me trouver sur un plateau, être entourée de confrères aux passions identiques et rencontrer de nombreuses personnes. J’aime l’action du plateau, le fait de courir de tous les côtés pour faire notre travail et, au terme de cette frénésie, de savourer le fruit de notre labeur. Je souhaite donc tirer profit des deux modes de travail — en solo et en équipe —, pourvu que 24 h par jour me suffisent pour le faire ! »
Mis à part la vente de prothèses et la location d’accessoires, Nina Anton désire offrir des ateliers, voire fonder une école consacrée aux effets spéciaux, établissement qui n’existe, en Amérique du Nord, qu’à Vancouver et aux États-Unis. À l’état embryonnaire, ce projet démarrerait par des ateliers en effets spéciaux de base, comme la création de prothèses, mais se diversifierait au fur et à mesure de son évolution : « Nous offririons aussi des ateliers de création d’effets spéciaux à faible coût et à coût plus élevé. Nous montrerions également à faire des Muppets. Nous mettrions donc l’accent sur toutes sortes d’effets spéciaux pratiques, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas obtenus par ordinateur. Certes, fonder une école se veut un travail de longue haleine, mais je tiens à ce projet, ne serait-ce que pour offrir à d’autres une formation digne de ce nom et ainsi leur permettre d’éviter les obstacles qui ont jalonné mon parcours. »
LES MÉTIERS ARTISTIQUES, UN SIMPLE LOISIR?
« Vous savez, lorsqu’on est autodidacte, il arrive de commettre des erreurs que l’on n’est pas en mesure de comprendre. Il m’est arrivé de faire dix fois la même erreur, et au bout d’un certain temps, l’absence de rétroaction d’un enseignant se faisait frustrante. Les livres, les blogues ainsi que les vidéos peuvent répondre à certaines de nos questions, mais pas à toutes. Par conséquent, l’aide d’un enseignant en chair et en os est essentielle. Et moi, je me vois bien dans ce rôle, car j’adore fournir des explications et répondre à des questions. L’émerveillement et la curiosité des gens qui viennent visiter mon atelier me font vibrer et, de plus, j’éprouve un grand enthousiasme à partager mes découvertes, qu’il s’agisse de nouveaux mélanges de produits ou d’autre chose. »
Lorsqu’une passion devient un métier, de nombreuses contraintes entrent en ligne de compte : « Lorsque je fais de l’artisanat sur mesure, je m’efforce de matérialiser les idées des clients. Jusqu’à maintenant, j’ai toujours bien saisi leurs idées, et donc livré un travail de qualité. La satisfaction des clients n’a pas de prix. » En plus d’un souci accru du travail bien fait, il y a les périodes de sécheresse financière : « En matière de revenu, certaines périodes sont plus difficiles que d’autres. Dans mon cas, c’est l’hiver. Composer avec l’absence de sécurité financière, c’est stressant pour un travailleur autonome, et j’imagine que c’est pour cela que de nombreux artistes finissent par se diriger vers un milieu où le travail ne manquera pas, où ils seront payés régulièrement. Mais du coup, ils hésitent toujours davantage à se lancer. En ce qui me concerne, la reconnaissance que me témoignent les clients (ou simplement les gens) et le plaisir de se remuer les méninges avec eux m’aident à surmonter ce stress et à continuer dans cette veine. »
Et en tant qu’avenue professionnelle, la création d’effets spéciaux n’est que très peu soutenue ici : « Lorsque j’ai voulu lancer l’une de mes deux entreprises, on m’a refusé une demande de subvention. L’agente m’a dit que mon élan professionnel était sûrement éphémère, que j’allais, comme elle, m’habituer à la réalité de nombreux artistes et n’en faire qu’un loisir, quelque chose que l’on fait à temps perdu ! Et c’est dommage, parce que les arts nous entourent et nous habitent, nous en avons tous besoin. Si l’on veut devenir infirmière auxiliaire ou travailler en construction par exemple (ce sont des métiers comme d’autres !), on nous accorde rapidement un soutien financier. Mais dès lors qu’il s’agit d’un métier lié aux arts, on est enclin à le considérer comme un loisir. Les gens disent souvent “Bonne chance !” lorsque nous leur nommons le métier que nous exerçons, comme si nous étions condamnés à manger nos bas . Cette perception est largement répandue, surtout chez les gens qui ne s’intéressent pas aux arts. Il s’agit sûrement d’une des raisons pour lesquelles le gouvernement se montre peu disposé à subventionner les artistes qui désirent vivre de leur métier. Nous ne sommes pas de doux rêveurs, nous sommes aussi ambitieux qu’un médecin ou un comptable, mais notre passion se porte sur autre chose. Beaucoup d’artistes réussissent quand même, mais le combat que nous menons pour nous faire connaître et respecter demeure ardu, d’autant plus qu’on ne peut pas s’appuyer sur un diplôme reconnu pour se dénicher un emploi. Alors, si je mets sur pied des ateliers, ce sera justement pour former les artistes qui veulent faire carrière dans le maquillage d’effets spéciaux et leur donner la crédibilité qui leur revient. »
POUR METTRE TOUTES LES CHANCES DE SON CÔTÉ, NINA ANTON OFFRE QUELQUES CONSEILS. D’ABORD, IL NE FAUT PAS PERCEVOIR LES ARTS COMME UN LOISIR, CAR L’ON RISQUE D’ENTRER DANS CE MILIEU EN CRAIGNANT DE NE PAS POUVOIR VIVRE DE SON MÉTIER. ENSUITE, IL FAUT ÉVITER DE SE COMPARER AUX MEILLEURS, CAR ON SAIT PEU DE CHOSES DE LEUR PARCOURS : « QUI SAIT, ILS SE SONT PEUT-ÊTRE ENFERMÉS PENDANT DES ANNÉES POUR EN ARRIVER LÀ. CE GENRE DE COMPARAISON AUX MEILLEURS DE NOTRE MÉTIER ANÉANTIT LA MOTIVATION, ET LE PIRE, C’EST QU’IL EST DIFFICILE DE NE PAS LE FAIRE, CAR NOUS VOULONS TOUS AVOIR UNE IDÉE DU NIVEAU QU’IL EST POSSIBLE D’ATTEINDRE. POURTANT, IL FAUDRA TOUJOURS EN APPRENDRE DAVANTAGE ET S’EXERCER. »
AUTRE CHOSE : AVOIR LE CONTACT FACILE. EN EFFET, NOTRE ARTISTE CONSEILLE D’ÊTRE SOCIABLE ET D’ÉTABLIR DES RELATIONS DANS SON DOMAINE RESPECTIF ET, SI POSSIBLE, D’Y BAIGNER, CAR ON NE SAIT JAMAIS CE SUR QUOI TELLE OU TELLE RELATION POURRAIT DÉBOUCHER : « NOUS POURRIONS FINIR PAR “JOUER” AVEC DES GENS DE NOTRE DOMAINE RESPECTIF, TRAVAILLER ET CRÉER AVEC EUX. POUR MA PART, J’ESSAIE DE CÔTOYER LE PLUS DE CONFRÈRES POSSIBLE, CAR CE SERAIT MENER UNE DOUBLE VIE QUE DE SE TENIR SEULEMENT AVEC DES GENS AVEC LESQUELS NOUS NE PARTAGEONS AUCUNE PASSION. EN OUTRE, CE SERAIT BIEN DE S’ENTOURER DE GENS OPTIMISTES, NE SERAIT-CE QUE POUR MIEUX SE DÉFAIRE DES PENSÉES RÉCURRENTES SELON LESQUELLES CE QUE NOUS FAISONS EST INUTILE. » ET ELLE CONSEILLE UNE DERNIÈRE CHOSE : DE NE PAS HÉSITER À SE SERVIR DES RÉSEAUX SOCIAUX : « LE GROS DE MES CONTRATS, JE L’AI OBTENU PAR L’ENTREMISE D’INSTAGRAM ET DE FACEBOOK. JE CROIS QUE POUR LES ARTISTES, CES RÉSEAUX CONSTITUENT DE VÉRITABLES CARTES PROFESSIONNELLES ET PORTFOLIOS. »
Rédaction : Gianmarco Muia
Entrevue & crédits photos: Nidesco
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