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Sculpter sa vie à coups d’efforts
Sculpteur, peintre et muraliste d’une grande polyvalence, Jean Pronovost s’est taillé une belle réputation au Québec, au Canada de même qu’à l’international. Teatricus est allé à la rencontre de cet artiste fort sympathique et dynamique.
UNE JEUNESSE BERCÉE PAR LES ARTS
Si Jean Pronovost est devenu artiste, c’est peut-être parce qu’il y était prédestiné. En effet, du simple fait d’enseigner l’histoire de l’art, sa mère lui transmet le goût des arts. Ainsi, non seulement se met-il très jeune à la lecture d’ouvrages traitant de ce sujet, mais il montre rapidement un intérêt très marqué pour les arts visuels, notamment la sculpture et la peinture : « Je m’y adonnais par pur plaisir », affirme-t-il. Une fois arrivé à la vingtaine, Jean Pronovost déménage à Montréal, où il travaille pendant cinq ans dans le monde du cinéma et de la publicité comme technicien de décor, métier qui se révèle intéressant sous bien des aspects pour lui. D’ailleurs, il contribue toujours au domaine du cinéma, mais seulement en tant que créateur d’accessoires. Pour expliquer cette distance par rapport au monde du septième art, il invoque des motifs que l’on ne connaît que trop bien : « Comme tous ceux qui ont évolué sur un plateau de tournage ou qui y évoluent le savent, les conditions de travail sont impossibles : les horaires sont surchargés, la gestion est parfois désorganisée et j’en passe. » Néanmoins, Jean Pronovost reconnaît qu’on y vit aussi de très belles expériences, comme celle, dans son cas, qu’il a vécue sur le plateau de Next Floor , court métrage fort intrigant réalisé par Denis Villeneuve en 2008. Cette expérience s’est d’ailleurs avérée la dernière avant de se lancer corps et âme dans ce qui l’intéressait le plus : la sculpture et la peinture. Ces deux arts, ils les pratiquaient déjà régulièrement depuis l’âge de seize ans, mais faute de stabilité financière, il s’est vu obligé de laisser le rêve d’en vivre en suspens pour un certain moment. Maintenant, le temps était venu de passer à l’action.
RÉALISER SES RÊVES COÛTE QUE COÛTE
Jean Pronovost était prêt à faire de grands sacrifices pour réaliser le rêve de vivre de son art. Chemin faisant, il a certes « mangé ses bas » plus souvent qu’à son tour, mais en s’astreignant à une éthique de travail irréprochable, il a obtenu des contrats, qui eux lui ont donné les moyens de se procurer le nécessaire à sa pratique artistique (matériel d’aérographie, peinture, huile, etc.) En cela, il s’est appuyé sur l’exemple de grands maîtres comme Rembrandt et Léonard de Vinci, mais à partir de circonstances différentes : « Pour arriver à leurs fins, les grands maîtres sont allés à la recherche de contrats. Ils ont travaillé pour des rois, des mécènes et d’autres gens fortunés qui avaient un goût pour les arts. Je me suis dit que j’allais emboîter le pas… sans toutefois savoir comment m’y prendre. Après tout, je viens d’une grande famille de 5 enfants dont les parents étaient certes cultivés [sa mère enseigne, comme mentionné précédemment, l’histoire de l’art et son père, la philosophie], mais pas riches ! Je savais déjà depuis longtemps que pour me procurer ce que je voulais, je devais travailler, mais je ne savais pas vraiment comment faire pour arriver à vivre de mon art. Malgré cette incertitude, c’était vraiment ce que je voulais faire, et j’étais prêt à tous les sacrifices. » Jean Pronovost aura dû se trouver adossé à la falaise pour décider de se consacrer entièrement à sa carrière artistique : « On dirait qu’il faut être poussé au mur pour qu’on finisse par se rendre compte, par exemple, que l’emploi que nous occupons ne nous convient pas du tout, et que ce qui nous passionne vraiment, c’est la sculpture, la peinture, le piano, planter des orchidées ou des milliers d’autres choses. En ce qui me concerne, c’est dans l’art que j’ai trouvé mon salut, que j’ai été en mesure de m’émanciper. » Autodidacte et explorateur des techniques des matériaux aussi bien anciennes qu’actuelles, il invente de nouvelles méthodes de sculpture et de peinture. Ne travaillant pas de manière traditionnelle, il privilégie le beau métier, bien fait et réalisé à l’aide d’une technique recherchée qui soutient bien sa démarche artistique. Pour s’inspirer, Jean Pronovost fait appel aux anciennes civilisations, desquelles il extrait la moelle non seulement à partir des livres, mais aussi en allant explorer des sites archéologiques anciens et peu connus. À l’heure actuelle, l’artiste crée autant qu’il enseigne. Pour lui, enseigner son métier et en partager les fruits est primordial, car en plus de la reconnaissance que lui témoignent les étudiants, jeunes et moins jeunes, nombreux sont ceux qui lui affirment, le regard brillant de passion, qu’ils ont toujours rêvé d’exercer un métier comme le sien : « Les voir vibrer de motivation à mesure que je leur enseigne les rudiments de mes arts ne peut que combler l’artiste que je suis ! Par ailleurs, le fait de se découvrir des talents artistiques et de pouvoir en vivre montre à quel point l’idée reçue qui veut que l’artiste soit destiné à mourir de faim est absolument fausse ! Toute personne concentrant son attention sur son art et qui fait les sacrifices nécessaires finira par pouvoir en vivre ! »
POINT DE VUE SUR L’ÉTAT DES ARTS ET DE LA CULTURE
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p style= »text-align: justify; »>Y a-t-il moyen de communiquer ses idées artistiques et de partager ses œuvres sans dépendre des subventions gouvernementales ni des lieux d’exposition ? D’après Jean Pronovost, c’est possible. Pour en donner un exemple, il relate une de ses expériences alors qu’il était à New York : « Un agent m’a conseillé de communiquer avec une société d’arts alternatifs nommée Society for Art of Imagination. En bref, Brigid Marlin, la fondatrice, a communiqué avec moi pour me proposer d’ouvrir la division canadienne de la société, ce à quoi j’ai acquiescé. J’ai ensuite cherché des artistes d’ici et du reste du Canada qui œuvraient dans l’art figuratif fantastique, qui diffère de l’art figuratif classique. Une fois le groupe d’artistes réuni, nous avons démarré le projet, qui a duré environ trois ans. Durant ce dernier, j’ai pu faire, avec une administration bénévole et sans aide gouvernementale, une exposition ici à Montréal et une autre à Cuzco, au Pérou. » On comprendra par cet exemple que, pour ne pas dépendre des subventions, il faut établir des relations et mettre la main à la pâte pour les solidifier. Et de toute manière, tous savent que les subventions ne sont pas garanties. En tant qu’artiste, Jean Pronovost n’en a jamais reçu. Mais curieusement, dans un cadre d’affaires, il en a obtenu vraiment beaucoup, certaines d’entre elles lui ayant même fourni la possibilité d’acheter des instruments : « Donc, du point de vue des affaires, on a décelé du potentiel en moi, mais du point de vue artistique, non ! Ce qui est encore plus curieux, c’est que certains sculpteurs subventionnés ont sollicité mon aide pour réaliser certaines de leurs œuvres ! », affirme-t-il d’un ton déconcerté.
Mis à part les subventions, il y a l’investissement privé. Évidemment, intéresser des investisseurs sérieux (peu nombreux selon l’artiste) aux arts et à la culture n’est pas facile, d’autant plus que, comme il l’explique, le gros de ce qui se fait dans ces domaines est peu connu, voire marginal. Néanmoins, il croit que le jeu en vaut la chandelle, même s’il n’est pas convaincu que des personnes de ce genre existent vraiment à Montréal ou au Québec. Quoi qu’il en soit, pour arriver à changer la donne, Jean Pronovost soutient qu’il faut des gens courageux qui sont prêts à prendre des risques. En parlant du risque de présenter les arts et la culture d’aujourd’hui au public, il peine à comprendre pourquoi les musées actuels en ont si peu le goût : « Pourquoi toujours présenter des œuvres d’artistes décédés il y a plusieurs siècles au lieu de créer des groupes et des événements mettant en scène des artistes québécois et canadiens en mesure d’inspirer la population ? C’est le genre de choses qui peut se faire sans trop de difficultés. »
L’ÉMANCIPATION DE LA CULTURE
Devant une telle inertie, notre artiste se dit que c’est peut-être lui qui, un jour, mettra la main sur un bâtiment en vue de créer ce genre d’événement : « Je pourrais créer une mini-galerie pour y exposer, certes, mes propres œuvres, mais aussi celles d’une multitude d’artistes contemporains. Je pourrais également me servir du bâtiment pour enseigner les aspects techniques de la sculpture à tous ceux et celles qui s’y intéressent. » Sans vouloir lancer de pierre à personne, certains aspects du métier lui sont plutôt pénible : « Devoir s’en remettre à un agent et à une galerie pour exposer nos œuvres, sans oublier qu’il faut leur verser la moitié (voire davantage) de nos bénéfices, c’est difficile. » Il poursuit : « À ce fait s’ajoute la quasi-obligation de vendre ses œuvres à des prix établis en fonction d’un marché tout simplement exécrable. Bien des artistes font carrément cadeau de leurs œuvres. Je sais bien qu’ils doivent payer leur loyer, mais on n’arrivera jamais à faire s’émanciper la culture au Québec ni dans le reste du monde de cette manière. On peut y arriver en se retroussant les manches, mais la charge de travail est, on s’en doute, incroyablement lourde. Et pourtant, tous sont conscients de la valeur sociale de l’art. Tous savent que l’art porte un message culturel empli de beauté, d’espoir et de sensibilité. »
LA SPIRITUALITÉ, COMPAGNE DE L’ARTISTE
Il est connu de presque tous que la pratique des arts exige de sortir des sentiers battus. Pour arriver à créer une œuvre, il faut pouvoir développer certaines aptitudes et qualités bien connues (concentration, sensibilité, visualisation, etc.), mais également certaines facettes de nous-mêmes qui, pour certains, ne semblent que de peu d’importance pour la vie artistique. Parmi ces facettes se trouve la spiritualité, au sens large du terme (pas forcément religieux). En effet, cet aspect de notre personne, qui se développe par un intense travail intérieur (et souvent solitaire) tournant autour de questions existentielles, petites et grandes, se veut primordial pour un artiste sérieux : « La spiritualité relève de notre for intérieur, affirme Jean Pronovost. Comme je travaille souvent mes œuvres dans la solitude, le questionnement et l’introspection qu’elle favorise ont approfondi mon côté spirituel au fil du temps. La spiritualité vient toucher notre sensibilité, trait qui, semble-til, ne peut être montré en société de peur de se le faire arracher et piétiner ! Un artiste dont la spiritualité est profonde sera en mesure de créer des œuvres très porteuses, le genre d’œuvres qui m’attire grandement. Ces œuvres porteuses peuvent transcender l’ego, transcender cette tendance toute naturelle à vouloir trôner seul au sommet de la montagne ». De toute évidence, le rôle de la spiritualité dans la création artistique est non négligeable.
Pour conclure, Jean Pronovost offre quelques conseils à ceux et celles qui prennent la réalisation de leurs rêves au sérieux : « Il ne faut pas perdre espoir. Il faut croire en ses rêves et leur consacrer de l’énergie, car de belles choses, voire des choses tenant du miracle, peuvent se produire. Bref, il faut croire en soi-même et en l’art. C’est un message d’espoir auquel je crois fermement. »
Rédaction : Gianmarco Muia
Entrevue & crédits photos: Nidesco
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Sculpter sa vie à coups d’efforts / Jean Pronovost (pdf)
Jean au salon de la sculpture 2018 / L’îles de plastique