DU COEUR AU VENTRE
Comédienne aux mille talents, Katia Lévesque a le vent dans les voiles. Teatricus est allé à la rencontre de cette femme dont la détermination n’a d’égale que l’authenticité.
D’aussi loin qu’elle se souvienne, Katia Lévesque a toujours voulu être comédienne. À l’âge de 12 ans, elle monte sur scène pour la première fois afin d’y jouer un monologue qu’elle a elle-même écrit et mis en scène pour le spectacle de fin d’année. Ce qui l’a inspirée (et l’inspire toujours) à monter sur scène tient en un mot : empathie. « C’est l’empathie qui m’a amené à jouer. J’ai voulu raconter des histoires de gens qui me touchaient, et j’ai aussi voulu raconter un peu la mienne, ne serait-ce que par la diversité corporelle. » Mais plus encore que l’empathie, ce qui la fait vibrer comme artiste et comme être humain, c’est l’authenticité.
QUI DIT ATYPIQUE, DIT AUTHENTIQUE
Être entièrement soi-même revêt une importance énorme à ses yeux. Une très belle valeur certes, mais qui a maille à partir avec les nombreux clichés du milieu artistique : « Que ce soit au théâtre ou dans le jeu de caméra, on touche encore à beaucoup de clichés. On mâche et remâche souvent les mêmes histoires. Par contre, je sens de plus en plus d’ouverture chez les jeunes réalisateurs et producteurs à l’égard des gens qui sont différents. J’entends par là des gens différents de ceux qu’on voit à la télévision, mais en tous points semblables à ceux qu’on trouve dans la vie, sur les trottoirs, dans les épiceries, au restaurant, etc. Des gens qui vivent, des gens de toutes les couleurs, de toutes les formes, de tous les âges et de tous les statuts. », explique t-elle. Du casting atypique de Katia Lévesque (comédienne, trentenaire, taille forte), le milieu s’attend malgré tout à certaines normes liées à la minceur. Mais qui a dit que « beauté » n’allait de pair, par exemple, qu’avec « minceur » ? La comédienne est d’avis qu’à l’écran, toute silhouette, toute couleur de peau, bref toute différence peut rayonner de beauté. Elle ajoute que c’est même souvent grâce à un artiste considéré comme atypique qu’un personnage ou un projet peut énormément gagner en crédibilité, en humanité et en pertinence. Une affirmation fort sensée qui a de quoi battre en brèche bien des conventions du milieu dans lequel elle évolue.
UN PARCOURS RICHE ET ENGAGÉ
Il ne suffit que d’un aperçu du parcours de Katia pour comprendre qu’elle est loin d’avoir chômé au cours de toutes ces années. En effet, ce dernier est tapissé d’une mosaïque de formations et d’expériences professionnelles. Elle réalise d’abord un stage d’observation en création théâtrale (2001) au Grand Théâtre de Québec. La même année, elle reçoit le Prix Muse « Meilleure interprétation féminine de l’année » pour son rôle dans Quatre à quatre de Michel Garneau. Sans quitter la scène, elle passe par l’Université Laval pour devenir intervenante sociale, métier qu’elle exercera en parallèle à celui de comédienne pendant quinze ans auprès de clientèles diverses (Québec, Montréal, Sénégal). Après l’université, elle se perfectionne en participant à plusieurs formations de jeu caméra (publicité et fiction). En dehors de l’audiovisuel, elle se perfectionne en prenant part à des formations en écriture (chanson et humour). Toutes ces formations, sans oublier le fait qu’elle est autodidacte, lui ont ouvert la porte à de nombreuses expériences professionnelles, trop nombreuses et variées en fait pour leur rendre justice ici. Qu’il suffise de dire qu’elles s’étirent de la télévision au cinéma, en passant par la publicité, le théâtre et la danse, sans oublier les vidéoclips, la narration, l’improvisation, l’animation, l’écriture, le mannequinat et l’art vivant.
À l’heure actuelle, Katia Lévesque travaille avec Ara Ball, réalisateur affairé à son deuxième long métrage qui nous a d’abord donné le très acclamé Quand l’amour se creuse un trou (2017). Ball s’intéresse aux sujets tabous, ceux dont on parle rarement ou avec beaucoup d’a priori. On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que son prochain film poursuit sur cette voie. La comédienne a fait connaissance avec le réalisateur sur le plateau de Quand l’amour se creuse un trou tourné l’année dernière. Ball l’ayant découvert dans un spectacle au sein duquel elle interprétait plusieurs rôles, c’est non sans mentionner qu’il souhaitait lui offrir un plus grand rôle qu’il lui a proposé de tenir le rôle de la serveuse, 3e rôle parlant, dans son premier long métrage. Ayant été séduite par les courts métrages du réalisateur et scénariste (L’ouragan fuck you tabarnak et Le Pédophile), Katia a accepté avec plaisir de se joindre à l’aventure. Le réalisateur ne s’attendait cependant pas à être secoué comme il l’a été après le passage de l’actrice sur le plateau de Quand l’amour se creuse un trou. De fait, bouleversé par l’énergie particulière et l’aplomb de l’actrice, le réalisateur a relancé Katia quelques jours seulement après le tournage afin de lui proposer un rôle principal dans son deuxième long métrage. À l’égard du réalisateur, la comédienne est élogieuse : « J’aime sa façon de rendre les choses avec poésie, humour et énormément d’humanité. » Évidemment, elle a tout de suite accepté la proposition dont tout acteur et actrice rêve: « Après m’être démenée pendant des années à me demander quand j’aurai le courage de m’offrir tout l’espace pour être entièrement l’artiste que je suis, j’ai finalement quitté le service social il y a cinq ans. Si on m’avait demandé à ce moment-là où je pensais être aujourd’hui, jamais je n’aurais pu imaginer qu’un réalisateur, dont l’univers m’inspire, m’écrirais un rôle principal dans un long métrage ! J’ai persisté, j’ai fait mon propre chemin et j’ai eu le flair d’aller vers des gens qui m’inspiraient, mais aussi qui partageaient ma façon d’être et de créer les choses.»
Par ailleurs, la comédienne se plaît à faire de son corps une structure servant à créer des images évocatrices. À cette fin, elle a créé ce duo en collaboration avec Jonathan Fortin, circassien professionnel (sanglier), afin de matérialiser une représentation qui lui trottait dans la tête depuis des années : se faire escalader. De ce duo est né Le loup & La colline (2013), qui s’est promené un peu partout, surtout dans Internet : «Ces images ont frappé l’imaginaire de plusieurs personnes. Elles ont ému aussi, parce qu’on voit rarement ce genre de chose, soit un homme de petite stature être porté par une femme imposante. C’est ce type d’image que, au moyen de mon corps, je veux contribuer à créer. » Pour ce qui est de la danse, elle a entre autres tourné en Europe pendant cinq ans avec Dave St-Pierre, chorégraphe en danse contemporaine et lui-même danseur. Elle a trouvé fort inspirant de le voir travailler aussi bien avec des gens formés à l’école qu’avec des autodidactes, et d’être au cœur de la dynamique, proche de l’authenticité du fait de ses contrastes, qui s’était établie. Aussi, désireuse de contribuer à l’ouverture et au changement des mentalités, Katia Lévesque travaille comme modèle vivant dans plusieurs cégeps, universités et écoles d’art. Elle a entre autres collaboré avec Fred Laforge, artiste en arts visuels dont la démarche artistique aborde également la question de diversité corporelle. On peut d’ailleurs découvrir, sur le terrain du Centre d’excellence en santé de Lanaudière, le fruit d’une de ses collaborations avec l’artiste sous forme de sculptures reproduisant les formes et la taille réelle des quatre modèles avec lesquels il a construit son oeuvre.. On peut également la voir sur la couverture de l’édition du 1er août 2018 (intitulée Obsédés par nos corps ?) du magazine l’Itinéraire.
S’AUTOREPRÉSENTER PAR SOUCI D’AUTHENTICITÉ
Fidèle à elle-même, Katia a choisi de s’autoreprésenter. Avant de faire ce choix, on l’approchait souvent avec des gants blancs pour jouer des femmes de taille forte, genre de rôle qu’elle envisageait volontiers de faire. Mais le fait même de se faire approcher avec des gants blancs ne lui plaisait pas vraiment, car ceux-ci lui semblaient témoigner d’une volonté de la ménager, d’éviter de lui faire prendre conscience de sa différence corporelle, dont elle était pourtant parfaitement consciente. Par conséquent, elle a décidé de s’autoreprésenter. En parallèle, notre artiste, qui s’assume sans aucun déni, trime dur pour contribuer à une autre image des femmes en chair dans la société actuelle. Elle voudrait, ne serait-ce que pour elle, éroder la connotation péjorative de l’adjectif «grosse» lorsqu’il est question d’apparence physique. Dans bien d’autres contextes, la connotation de ce dernier est même favorable. Il pourrait certainement en être de même lorsqu’on décrit la silhouette d’une femme. L’affirmation suivante de la comédienne est, à cet égard, bien à propos : « Je pense qu’on peut dire qu’une femme est grosse et belle, et non seulement grosse, mais belle. »
Pour Katia Lévesque, les avantages de l’autoreprésentation sont nombreux : «D’après ce que j’ai pu observer des castings atypiques, si on me cherche, on me trouve. J’ai aussi accès à tous les appels de rôle. Je peux voir évoluer le marché et le milieu. Je peux aussi choisir de me proposer pour des rôles. Je peux en outre voir qu’il n’y a pas de travail à certaines périodes, au lieu de me morfondre toute seule dans mon coin en me demandant ce qui se passe. Donc, j’ai vraiment le sentiment d’avoir tout ça en main. » Ce qui constituerait un autre avantage à son avis, c’est d’avoir une vitrine pour promouvoir ses idées, sa démarche artistique et aussi pour tisser des liens entre artistes du même milieu. Mais l’autoreprésentation n’a pas que des avantages : «On est souvent seul. On n’a personne pour nous encourager, nous donner une tape sur l’épaule et nous dire de ne pas lâcher, ce qui nous oblige nous-mêmes à constamment retrouver notre motivation. Ce qui est bien, c’est que Teatricus est une plateforme qui nous permet de nous retrouver entre artistes qui vivons la même chose, de découvrir des gens avec lesquels nous avons un langage commun et, qui donne la chance de trouver des partenariats. »
LES NOUVEAUX CENTRES DU MILIEU
En début de carrière, Katia Lévesque craignait quelque peu d’utiliser les outils numériques, qui lui semblaient être l’apanage des geeks. Mais elle a vite compris que certains outils pouvaient l’aider à propulser sa carrière : « J’ai cherché, j’ai fouillé, je suis tombée sur Teatricus, où j’ai vu qu’une plateforme intéressante m’était proposée. » La comédienne utilise également Facebook, qui malgré ses revers s’est révélé une superbe vitrine pour découvrir et rencontrer des artistes de talent. Même si elle pense pouvoir aller encore plus loin, elle est encore frileuse. Pour le moment, elle dit préférer se concentrer sur ce qui lui apporte du travail plutôt que de créer, par exemple, son propre contenu. Néanmoins, sur le plan de la gestion quotidienne d’une carrière (courriels, formalités administratives, etc.), elle affirme être curieuse de savoir si, justement, les outils numériques pourraient l’aider à regrouper un certain nombre de choses et, peut-être, à mieux organiser sa démarche artistique. De toute évidence, ils ont le potentiel de le faire.
Dans Internet, la tendance est aux webséries, dont Katia Lévesque raffole : « J’aime le format des webséries, j’aime l’idée qu’elles soient souvent en petites capsules. Si j’avais à faire quelque chose sur le Web, ce serait fort probablement une websérie. » Elle les trouve démocratiques et propices à la découverte d’univers complètement éclatés. La comédienne mentionne aussi un fait intéressant : comme les gens semblent avoir moins d’attentes envers les webséries, celles-ci les séduisent plus facilement. À son avis, on peut attribuer le succès de services comme Netflix au fait que les gens s’enorgueillissent de découvrir de nouveaux artistes. En effet, comme ces derniers sont souvent méconnus, ils nous fascinent et, ce faisant, nous nous attachons à eux. Selon elle, il serait grand temps que les producteurs et les diffuseurs insistant sur les vedettes voient toutes les possibilités qu’il y a à miser sur des visages méconnus.
L’ÉTAU SE RESSERRE AUTOUR DE LA RELÈVE
De l’avis de Katia Lévesque, ce qui est difficile pour les actrices débutantes, c’est d’avoir accès aux auditions. Elle affirme par exemple qu’il ne se fait plus d’auditions de 2e rôle, et qu’on auditionne de moins en moins pour les 1ers rôles du fait que les producteurs et les réalisateurs préfèrent se limiter à des valeurs sûres. De plus, sur les plateaux de tournage, les choses ont passé la vitesse supérieure. Pour vous donner une idée des réalités actuelles, imaginez : on vous choisit pour un 2e rôle sans audition et sans même que le réalisateur vous ait vu et fait part de ses attentes envers vous. Vous arrivez sur le plateau pour faire au maximum deux prises, parce qu’en fin de compte, on vous évalue surtout en fonction de la démo pour vous offrir un 2e rôle. Cette situation ne peut manquer de provoquer de la frustration. Par conséquent, la comédienne incite la relève à s’activer pour suivre des formations continues, collaborer entre autres à des kinos, « parce que c’est comme ça qu’on peut vraiment garder le métier vivant en nous et être réactif au bon moment sur un plateau de tournage. » Et si Katia Lévesque pouvait offrir un conseil à un comédien ou une comédienne en puissance, ce serait de le devenir pour les bonnes raisons. Autrement dit, si votre objectif, c’est de devenir une vedette, il faudrait peut-être penser à vous réorienter, ou, pour reprendre ses mots, « à participer à une téléréalité » !
Rédaction : Gianmarco Muia
Entrevue & crédits photos: Nidesco
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